Lettre morte - Linda Lê
paquita | 20 octobre 2009Paru en 1999, “Lettre morte” se présente comme un récit fictif. Qu’il trouve sa source dans le biographique de l’auteure, n’importe que dans la mesure où il donne un ton, une profondeur au récit, que seule l’authenticité de l’expérience vécue peut apporter. Ici c’est donc la mort qui donne la vie, la mort d’un père qui donne naissance au roman. Ce roman est la réponse posthume que la narratrice adresse au père qu’elle a laissé mourir dans la solitude. Cette “lettre morte” sait qu’elle arrive trop tard, mais tente néanmoins de restituer la mémoire des événements qui l’ont précédée. Cet appel déchirant ne sombre pas complètement dans le silence et l’oubli. Il s’adresse à Sirius, l’ami, le confident, l’étoile qui brille dans les ténèbres de la culpabilité et les égarements de la folie. Il est celui qui ne s’exprime pas directement, mais dont les paroles raisonnables sont rapportées au cours du récit, comme autant de lanternes éclairant la nuit. A défaut de s’adresser au mort qui ne cesse de la hanter, elle s’adresse donc à Sirius sur ce ton un peu solennel qui évoque la poésie antique. Pour autant le récit n’en est pas alourdi, au contraire. Ce monologue parfois un peu théâtral, confère à la violence des émotions ressenties une certaine douceur, une fluidité lyrique qui transcende la douleur. C’est bien le remord qui est à l’origine de ce récit, qui le travaille et fait travailler la mémoire de celle qui raconte son père vieillissant au Vietnam, tandis qu’à Paris, elle, court après l’amour du funeste Morgue et de la “gloire littéraire”. Cette culpabilité de n’avoir pas été présente le jour de sa mort, fait resurgir les souvenirs de l’enfance au pays natal, la bienveillance du père mais aussi sa déchéance conjugale, son alcolisme, l’absence de la mère, l’omniprésence d’un oncle fou. Aux nombreuses lettres que ce père dévoué adresse à sa fille exilée, parviennent des réponses irrégulières, distraites par l’agitation occidentale. Petit-à-petit, l’amour perdu du père se superpose à l’amour inexistant de l’amant. Le père écrit à sa fille qui ne répond pas. La fille écrit à l’amant qui ne répond pas. Il est question de relations épistolaires manquées. Chacun court après l’insaisissable enfant, l’inssaisissable amant, et in fine, après le temps perdu. Sombre, introspectif, ce récit n’en demeure pas moins un pur cristal de poésie et parvient à trouver une issue lumineuse à cette impossible quête du pardon.
Linda Lê est l’auteur de dix-huit livres avec dernièrement ”In memoriam” (2007). Elle a également écrit trois chansons pour Jacques Dutronc, figurant sur l’album “brèves rencontres” (1995).