Dans le scriptorium - Paul Auster
paquita | 20 décembre 2008Cette chronique sera brève. Un peu à l’image de l’habile démonstration perpétrée par son objet d’étude.
Tout d’abord, le titre de ce court roman est la clé du petit “mystère” qui se joue dans ces pages, son concentré et l’énonciation du pacte de lecture. Car on entre de facto dans le scriptorium, c’est-à-dire dans la fabrique du texte, ainsi que l’indique clairement l’iconographie de la couverture.
Scriptorium : atelier des monastères dans lequel travaillaient les copistes… De scriptor « secrétaire, écrivain, auteur » définition partielle du TLF.
L’histoire, attrayante parce qu’énigmatique, parfois cocasse, n’en demeure pas moins un tour de passe-passe. Lequel est destiné, à rebours, à faire prendre la mesure à son destinataire de l’habile mise en abyme qui s’y opère : un vieil homme sans identité, sans mémoire, s’éveille dans une chambre d’hôpital, seul. (En réalité, c’est le narrateur et son destinataire qui s’éveillent ensemble au récit, par les yeux du personnage principal). L’homme doit tout réapprendre, tout découvrir, depuis le laçage de ses chaussures jusqu’à son histoire, le récit de sa propre vie. Ses “soignants” lui imposent de lire un manuscrit, dont le contenu semble, au premier abord, ne rien à voir avec lui. Ce manuscrit recélerait des indices qui lui permettraient de recouvrer la mémoire, et par conséquent l’autonomie. “Inventer c’est se souvenir un peu, se souvenir c’est inventer aussi” dit-on. Mais le vieil homme n’est décidément pas maître de son destin. Il rencontrera d’autres personnages, dont les visages sont tous reproduits sur des photographies dont il dispose également. Il doit ainsi tisser des liens entres ces images et le manuscrit, raccrocher le réel au curieux texte de science-fiction qui se déploie petit-à-petit sous ses yeux. Mais le vieil homme résiste, et à l’identité qu’on semble lui prêter (peut-être un chef de guerre, responsable de crimes) et à l’obligation de lire un manuscrit dans lequel il ne reconnait rien, et qui surtout n’a pas de fin. Ce sera encore à lui, qu’incombera la tâche de poursuivre et d’achever ce récit. Mais sont-ce des réminiscences romancées de sa vie passée, ou bien pure invention d’un vieillard presqu’en enfance ?
Tandis que nous, destinataire du réel, ou de ce que nous croyons être le réel, nous noyons quelque peu dans ces méandres, le roman touche à sa fin… et reprend depuis le début. Il n’y a donc pas d’histoire, pas de récit. Le vieil homme n’est qu’un pantin agité par le narrateur, un leurre. Au final, il n’y a que la démonstration, l’exhibition d’un procédé narratif bien huilé, incluant les notions de cycle, de mémoire et surtout d’invention fictionnelle.
Quand même : cet homme veillissant, sans mémoire, contraint d’inventer pour se souvenir d’un monde qui n’existe pas, ce démiurge inconscient… On se demande bien qui cela pourrait être…