Nevermind Mai 68 ? : pamphlet écrit en 2007
C’était hier. Qui s’en souviens ?
Moi pas. Je suis née en 73. Sale époque d’après le rapport « historique » de ce tee-shirt-souvenir, qui me fut probablement offert par désœuvrement. Outre « ma naissance qui passe curieusement inaperçue », les faits sont patents : « Les dernières forces américaines se retirent du Vietnam, Robert Redford et Paul Newman montent une arnaque et le Washington-Post dévoile l’affaire du Watergate. L’Ajax d’Amsterdam remporte la Coupe d’Europe, Jane Birkin fait ses débuts musicaux, Sheila se marie, « L’exorciste » terrifie le monde et Louis de Funès est Rabbi Jacob… » Effectivement, catastrophe sur catastrophe. De même qu’on ne choisit pas sa famille…
Du coup ça me travaille. Je me demande vraiment qui a gardé, dans son corps et dans sa mémoire, les vibrations de Mai 68 ? L’imagination avait pris le pouvoir. On pouvait tout dire, tout entendre, tout écrire, tout lire, tout faire, tout penser bref : tout critiquer.
« Oui mé, mai 68 c’est de la mythologie et pis d’abord y a qu’à voir Cohn Bendit, hein, quand même, les comme lui qui sont en haut maintenant et qui manifestaient avant contre la hiérarchie et tout ça, alors hein, bon. »
Certes. « Je vous ai compris ». Mais quand même. Vous ne trouvez pas que les murs de nos oreilles ont salement repoussé depuis… Ils sont assez effrayants d’ailleurs, ces miradors de la démocratie. Quand aux yeux n’en parlons pas. Gavés du spectacle télévisuel, shootés à la « grand messe du 20h » et à la pub aliénante – que même si on coupe le son on reste fasciné par les gesticulations lumineuses de l’écran. « Big brother » s’est finalement anamorphosé en boîte hallucinogène. Plus besoin de nous surveiller ! C’est nous qu’on surveille la télé ! Il nous suffit d’ouvrir la bouche (stade oral) les yeux (pulsion scopique) et de laisser glisser le flot ininterrompu du journal télévisé (stade digestif).
D’ailleurs, que viens-je de lire sur les infos d’Internet ?! : « Pour l’écrivain Alain Soral, Marx voterait aujourd’hui Le Pen ». Gloups. Je me demande ce que pourrait en penser les ex-soixante-huitards. Où est passée leur voix ? Eh Ho ?! Y a d’l’écho ici… En revanche, j’imagine assez bien ce qu’en pense la jeunesse du XXIème siècle : pas grand chose. Où alors si. Que c’est pas bien mais qu’on peut rien y faire alors du coup ça sert à rien d’y penser. « Eh cé ki Max ? » Mais ce n’est pas vraiment leur faute. Eux, nous, ne connaissons pas notre Histoire. D’autres semblent particulièrement prompts à l’oubli. Ou à la critique systématique. Pas de juste milieu en somme. Qui se souvient vraiment des luttes pour les acquis sociaux ? « Universités, usines, unions » un slogan qui ne cesse de m’étonner et de m’émouvoir. Car il ne résonne pas avec aujourd’hui. Il appartient au passé. Je me demande qui est encore assez imprégné du besoin irrépressible de construire sa liberté au point de s’en emparer ? Je me demande pourquoi nos aînés ne nous ont pas transmis la saine transgression. Celle qui interroge, au besoin par la force. Plus de cet élan vital. Juste le souhait de préserver le peu qu’on a. Quitte à étouffer la contestation qui sourd et on se dit : « d’toutes façons ça peut pas durer ce merdier, ça va péter un jour c’est sûr ». Et brièvement, à ce moment précis, une petite étincelle vous réchauffe la carcasse et puis plouf ! liquéfaction. Incapacité d’actions, l’asthénie est notre amie, pauvres petites choses victimes - et toi tu d’féconçes à quoi ? à l’inaction camarade. Oh, suprême irrévérence de la révélation ! Mais oui. Nous avons peur. Eux, les gens du Front populaire, les étudiants de Mai 68, en ont eu marre de se tenir. Ils ont fait table rase de la peur. « Interdit d’interdire ». Ah le bô pays d’utopie, merveilleuse chienlit … J’en rêve, tu en rêves, il en rêve, nous en rêvons, vous en rêvez, ils en rêvent, j’en rêve, tu en rêves etc.
L’année d’après, une ère nouvelle, « érotique » invite à la libération sexuelle. Alors là, je leur dis pas merci aux soixante-huitards ! Vlà l’résultat ! Sex is product ma bonne dame, definitively. « Plus je fais la révolution et plus j’ai envie de faire l’amour, plus je fais l’amour et plus j’ai envie de faire la révolution ». C’est le binz. Y a pas d’révolution aujourd’hui ! Et puis on ne fais plus l’amour mon bon monsieur, on baise et encore. La télé le fait pour nous. Comme dirait l’autre insoumis, l’homme est devenu sa propre marchandise. Le sexe est devenue une « affaire » collective hautement médiatique. Il faut suivre le mode d’emploi du sexe « ultra-libéré », écouter les propos de la descendance de m’ame Brigitte Lahaie, diplômée en « sexe libérateur » (oui mais de quoi ?) dixit la très commerciale Ovidie. Because maintenant la mode est au SM. Soumission/domination, c’est la lutte des classes dans la mise en scène du sexe ! C’est extra ! On nous formate le sexe, on nous formate le corps, on nous formate la tête et ça fait mal… L’uniformité nous tente, comme un totalitarisme anthropologiquement tapi dans les consciences. Le désenchantement nous étreint. Il fait naître des tas de gamins qui s’habillent en noir et croient trouver la quintessence de la subversion dans des allocutions à Satan. La pov’ bête… Signe d’un retour à l’adoration des icônes et des poseurs. Chacun tente de meubler à sa manière le vide abyssal qui constitue cet espace interne situé entre les deux oreilles. Pauvre France ! Pauvre occident ! Pauvre planète ! Et merde.
Pourtant le problème ne se trouve pas dans la bite à Houllebecq ni dans la vulve d’Angot. Il est dans notre incapacité congénitale à nous saisir du réel. Et qu’est-ce qu’on en fait ? Que faut-il faire pour être heureux bordel ? On a le droit de se mettre en colère. Oui mais alors, faut y mettre les formes. Se regrouper, se baptiser « Don Quichotte » ou « Jeudi Noir », et tout le monde applaudit. « C’est super c’que vous faites. Ça fait longtemps qu’on attendait ça ». Révolte, partage, individu. On a le droit de se révolter, oui mais pas trop fort et pas trop nombreux quand même, hein. Juste ce qu’il faut pour entrer dans le cadre. Applause ! Coupez.
On a aussi le droit de partager. Et là c’est cette bonne vieille charité puante que le quidam applaudira derrière sa télé. Et l’épanouissement personnel ! Ah, Coaching ! Tests Psychologiques ! Sport ! Chirurgie Esthétique ! Mode ! Culture Labellisée ! Médiatisée ! Ah, un esprit sain dans un corps sain ! Non mais de quoi j’me plains ?! « Nik ta race » on peut lire aujourd’hui sur les murs. Enfin, ça dépend du lieux de résidence. « Ouhô-hô-hô-hô, H.L.M » Je suis pas sûre que ce Nik auquel s’adresse ce type de tribune sauvage et anonyme, serait content de se reproduire de cette manière. Je verrais bien plutôt un slogan du genre : « Nous ne voulons pas être étoilés, karchérisés, chartérisés ». Car c’est aux « Restos du cœur » que la police effectue ses derniers coups de filets. Tristes retours au pays natal. D’aucun prétendent que la guerre civile nous guette. Ils s’en pourlèchent, en font leur beurre, « s’y graissent les mains ». Mai 68, ne reviendra pas. Autre temps, autres mœurs. Autre économie aussi.
Quand les premières cité sont sorties de terre, c’était le soulagement. Enfin des logements décents. Construis par une immigration officiellement plébiscitée (rappelons-le). Il y avait urgence. Les femmes n’arrêtaient plus de « pondre ». Pour cause de politique nataliste exubérante. « Boom » ! faisait bébé. Italiens, espagnols, maghrébins, polonais, portugais. « Trabajadores Franceses emigrados unidos. Trabajadores Franceses emigrantes unidos. » Ce sont leurs bras qui ont tragiquement construit notre malheur urbain. Tout ce petit monde de l’ombre, des usines, entassés dans des blocs. « Nou-som-tous ! dé-zenfan-dimigré ! » C’était tellement mieux que les bidonvilles, les chambres de bonnes insalubres… Lumière, chaleur, eau courante. Tout ce qui nous semble aujourd’hui si naturel, évident, était un progrès social. L’Histoire nous rattrape dans les histoires. Autrefois, on parlait. On se connaissait. Chacun gagnait sa croûte, les gosses faisaient des conneries ensemble. La Cité, ça avait du sens. Aujourd’hui enclavée, repliée sur elle-même, la cité étouffe. On suffoque. Des logements qui se détériorent jusqu’à l’indigence, abritent des générations qui s’étagent dans le chômage. Putain d’avenir. « No futur ». On s’épie entre voisins. L’inconfiance règne. On se « voile » la face. La désunion dans le chômage divise, fait de l’autre l’indésirable. Une ville dans la ville, un monde dans un monde, avec ses codes et sa colère singulière. Alors à qui la faute ? Quoi faire ?
Dans « on » ou « nous », il y a « je ». « On » veut pas être embêté par « je ». Et « je » veut pas non plus être embêté par « nous ». Pourtant, quand la situation devient globalement insupportable, « on » et « je », comme par miracle, on envie de se retrouver : «…ça peut pas durer ! » « Y en a marre ! On nous prends vraiment pour des cons ! » « J’croyais qu’on leur avait tous coupé l’cou ! » «…déjà qu’on aura peut-être pas de retraite alors nos gosses… » « Une bonne guerre ça ferait du bien ! » (Ma-ré-chal, nous voualà !) Etc. Et voilà, ça repart comme en 40 ou presque. Notez, l’année dernière, on l’a eu notre « révolutionnette ». « Ville-pin, serre les fesses ! on arrive à toute vitesse ! » Mais comme « la révolution doit s’arrêter à la perfection du bonheur et de la liberté par la loi »… Etudiants, travailleurs, chômeurs, tous unis dans l’inquiétude d’un avenir décidé par d’autres. Après le régicide de 1789, osera-t-on un jour le politicide ? Bref. On a obtenu ce qu’on voulait : retrait du CPE. Bien. Une belle victoire. On était contents. On a eu le plaisir d’être ensemble, de gueuler un bon coup, de dire « MERDE à celui qui veut pas l’entendre ». La communion quoi. Puis plus rien. Retour à « l’ordre ». Récupération politiques diverses. Maison, téloche, lexomil. Rideau.
Etymologiquement, « révolution » provient du latin revolutio qui signifie littéralement « déroulement ». Autour de 1267, « révolution » signifie « l’achèvement d’un cycle, l’écoulement d’une période de temps ». Plus près de nous, la révolution désigne un « changement brusque, une transformation complète ».
Les casseurs des manifs ne font pas la révolution. Ils ne procèdent pas non plus de l’anarchie. Ils vont juste chercher l’adrénaline du baston tout comme les supporters de foot, désespérément habités par l’impuissance. Des êtres humains cherchent un exutoire dans les coups à l’impossible communication entre les mondes, entre les castes. Diantre ! La hiérarchie, les privilèges n’ont donc pas disparus ?! Ben non. Mais selon un enragé bien inspiré du « joli mois de mai », « Construire une révolution, c’est aussi briser toutes les chaînes intérieures ».
Ne concluez jamais, recommencez toujours.
12/02/2007