Le Cri du sablier - Chloé Delaume
paquita | 2 octobre 2010Paru en 2001 et Prix Décembre la même année, Le Cri du sablier est le second roman de Chloé Delaume.
C’est un texte dense, violent, lourd comme le trauma qu’il raconte. Sa langue chargée, évoque immédiatement la folie d’Artaud (L’arve et l’aume) père putatif revendiqué dans le nom de plume, mais il convoque aussi la puissance poétique d’un Lautréamont. Il n’est pas facile d’y entrer. Adepte du sujet-verbe-complément-ponctuation s’abstenir. Mais la persévérance oblige l’exigence de l’auteure. Le lecteur est vite récompensé. Le méli-mélo verbal, qui dit bien le méli-mélo mental, dévoile le fond de l’histoire, la genèse de Chloé, double à peine voilé de l’auteur et narratrice de sa propre histoire. Le nom de plume marque aussi la problématique du prénom (Chloé empruntée à L’écume des jours, autre personnage étouffant) de la douleur de n’être point nommée par ceux-là même qui devraient l’aimer. Chloé, l’enfant qui ne parle pas, remonte le fil de son enfance en partant de la scène qui l’amputa pour longtemps de l’usage de la parole, sorte de scène primitive inversée et sanglante. Une histoire de noms, une histoire de nons, de nombres, une histoire de famille déchirée, mais surtout une mise à distance qui permet à l’œuvre de s’écrire et peut-être, d’expurger les démons parentaux… Si la famille est le lieu premier de l’aliénation, il peut être aussi, par la force de l’intelligence et du talent, l’origine d’une création neuve, validant une fois de plus la thèse de Marthe Robert (Roman des origines et origines du roman). Le sablier c’est le temps qui s’égrène, le temps nécessaire à la recouvrance de ce qui est dicible. Le sable c’est la madeleine, le sablier c’est l’enfant dans l’adulte qui se souvient et se vide, lentement. L’écoulement du sable c’est le cri silencieux mais continu, la logorrhée embourbée des mots car les mots sont enterrés si profond et il y a tant à dire.
Enfin, on ne peut reprocher à l’auteure d’avoir cédé aux sirènes du roman familial, ici tragédie innommable. On ne peut que reconnaître la qualité du texte, la sincérité de ses intentions. Le Cri du sablier nous confirme qu’avec de la boue, on peut bel et bien… faire de l’or.