Harold et Maude : l’amour tabou
paquita | 11 décembre 2009Un très jeune homme peut-il tomber amoureux d’une vieille dame ? Si “bien conservée” soit-elle… A cette question qui pourrait paraître incongrue, “Harold et Maude” répond d’une manière étonnamment fraîche et poétique. Mais le film interroge aussi et surtout les notions de norme, d’identité, de liberté qui travaillent tout un chacun. La subversion ne se situe donc pas au plan des images que le scénario peut produire (l’intimité qui se noue, la séduction qui opère, la sexualité “non-conforme” qui en résulte). Elle se situe au plan des conventions que l’histoire met à mal, elle remet en question la légitimité de la morale générale. Réalisé par Hal Ashby et sorti en 1972, ce film tendre et atypique “n’a pas pris une ride”.
Harold, jeune homme “bien-né” en conflit avec sa mère, est hanté par la mort. Il passe le plus clair de son temps à élaborer des mises en scènes macabres, visant précisément à provoquer sa génitrice. Mais les réactions de cette dernière, femme artificielle et mondaine, ne font que l’encourager dans la répétition de ses suicides maquillés et spectaculaires. Fasciné par la mort et son décorum, sans pour autant s’en expliquer les raisons profondes, Harold partage son temps entre les enterrements auxquels il assiste assidument et ses rendez-vous stériles avec un psychanalyste. Un jour, une vieille femme l’accoste lors d’une messe funèbre. Extravagante et pleine de vie, Maude incarne l’exact contraire d’Harold, sombre et malheureux. Pourtant, Harold n’est pas dénué d’excentricité, ce qui n’échappe pas à Maude. Lorsqu’ Harold ne se déplace qu’en corbillard, Maude s’ingénie à “emprunter” tout véhicule qui se présente à elle (moto comprise). C’est au cours d’une de ces virées rocambolesques que Maude invite son nouvel ami chez elle, sorte de caverne d’Ali Baba emplie d’œuvres d’art (Maude est modèle) d’instruments de musique (Maude est musicienne) d’inventions étonnantes (Maude créé) et de souvenirs (Maude est riche de ses 80 ans). Maude sera donc l’initiatrice d’Harold. Un des temps fort du film, titille l’idée qu’une femme de cet âge peut avoir de l’attrait, en avoir conscience, et en jouer pour séduire, tout comme une jeune femme serait légitime et même encouragée à le faire : “Allez-y, explorez, touchez, palpez” enjoint-elle malicieusement le jeune-homme, en lui présentant une imposante sculpture de bois, dont la forme ne laisse aucun doute. Bien des scènes mériteraient qu’on en fasse l’éloge, car le sujet si délicat soit-il, laisse une large place au rire et à la jubilation. La sincérité de cette histoire d’amour qui transgresse la barrière des générations, révèle l’hypocrisie de l’entourage d’Harold, qu’elle tourne en ridicule : une mère écervelée incapable d’affection, un psychanalyste qui passe à côté du vrai problème, un prêtre “congestionné” à l’évocation d’une sexualité qui lui échappe à double titre.
Pour finir, Maude fera prendre conscience à Harold que la vie vaut la peine d’être vécue (on aperçoit brièvement à l’intérieur de son poignet, un numéro tatoué). Symboliquement, la transmission des valeurs ayant échoué du côté de la mère, c’est l’amante qui prend le relais. En bravant ensemble les petits interdits du quotidien jusqu’au tabou ultime, l’épanouissement d’Harold viendra illuminer les derniers jours de Maude et Maude permettra à Harold de trouver en lui-même, un sens à sa vie. Enfin, il faut saluer les prestations exceptionnelles de Ruth Gordon aujourd’hui décédée, de Bud Cort son partenaire, ainsi que le talent du réalisateur également disparu, qui su mener ce récit original à son terme, en apportant un soin particulier à la composition des images. “Harold et Maude” est et demeurera un film important.